mercredi 23 janvier 2013

Six ans



Les nuits semblaient plus noires et plus implacables. Pourtant le ciel semblait porter plus d'étoiles qu'il n'en garde aujourd'hui. Dans l'obscurité du jardin rôdaient des monstres terrifiants. On courait un peu pour aller se cacher dans nos lits, abrités par de faux baldaquins accrochés aux poutres. La petite fenêtre de la chambre donnait sur un extérieur sombre et inquiétant malgré la lueur de la lune. Même le chant des grillons semblait teinté de menaces muettes. Mais à l'abri des draps, dans notre petite chambre mansardée, nous étions saufs.

Je me souviens que c'est allongée dans ce lit, alors que je récitais sans trop y penser un "Notre Père" mécanique, les yeux fixés sur les planches du plafond qui se penchaient vers moi comme pour mieux m'embrasser de leurs bras de bois sombre, que je me suis aperçue que je ne croyais pas en Dieu. J'ai plissé le front en réfléchissant au pourquoi de ma croyance aveugle et soudain j'ai compris. Je croyais parce que j'avais peur, parce que c'était la chose qui me permettait d'apaiser les terreurs folles qui me subjuguaient parfois. Les monstres du jardin. Les vélociraptors du cellier. L'éventualité de la mort. Ce que je prenais pour de la foi n'était qu'une sorte d'objet transitionnel un peu élaboré. Supprimer la peur supprimerait le besoin de croyance. En un instant, j'ai décidé de cesser d'avoir peur - et j'ai cessé de croire. J'ai souri devant la simplicité de la réponse, et je me suis endormie, le crissement des grillons ancré dans mes oreilles.

Cette maison était celle qui me rattachait le plus au monde irrationnel de l'enfance, mais elle fût aussi pour moi un lieu où, tout d'un coup, j'ai grandi. J'ai fait un pas de plus vers l'âge adulte. Un bond de géant. Ce bref "Eurêka !", ce petit moment de clarté m'a marquée à jamais et j'y repense souvent. C'est dans cet instant-là qu'a semblé s'infléchir toute une partie de ma psyché, celle qui porterait mon propre doute cartésien, mon besoin de rationalité, mon intérêt pour les sciences. Et peut-être même mon goût pour le catalogage.
Je regrette toujours que mes grands-parents n'aient pas su qu'un jour, je deviendrais bibliothécaire. Ma grand-mère aurait fait remarquer qu'elle ne m'avait jamais vue devenir géologue et aurait évoqué tous les livres que j'ai pu dévorer dans le fauteuil en mousse du grenier, près de la fenêtre donnant sur le jardin où jouaient mes frères et sœurs. Mon grand-père aurait blagué avant de reprendre ses mots croisés, clope au bec.

C'est dans cette maison, à l'abri des monstres, ce havre de paix où s'apaisaient mes angoisses, c'est là qu'il m'a été possible de vivre ce moment formateur. Et ce lieu, cette maison, ce havre, c'est à eux que je les dois. Quels qu'aient été leurs défauts ou leurs fautes. Quel que soit le nombre d'années qui me sépare de leur défection terrestre.
Ils me manquent encore chaque jour.


Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même au parc Monceau en décembre 2012.
Ce texte et cette photo sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage à l'Identique 2.0 Générique.

jeudi 17 janvier 2013

Les neurones qui pédalent



Si j'ai passé tant d'années à poursuivre les concours de catégorie A, c'est, dans une certaine mesure, que j'ai toujours été subjuguée par l'exercice de composition de culture générale. Prendre un sujet quelconque et le retourner dans tous les sens pour créer une pensée construite autour de ces quelques mots, quel magnifique exercice pour se décrasser les neurones ! Pourtant, je ne peux m'empêcher de le trouver vain dans sa finalité : la phase d'écriture se fait sans support, le candidat réunissant de tête les faits et les citations qu'il souhaite invoquer. Mais un argument sans sources, sans appui bibliographique est vide en soi ; il ne repose que sur du vent, que sur la foi qu'on porte en son auteur. La composition ne reste alors qu'un exercice dénué de sens, auquel on ne peut apporter de crédit autre que celui de nous avoir occupé l'esprit durant quatre ou cinq heures. Mais peut-être suis-je tout simplement un peu trop amoureuse du concept de l'article scientifique ?

Quoi qu'il en soit, si j'ai beaucoup réfléchi à l'équation de la composition de culture générale c'est que, si j'ai cessé définitivement de m'y préparer il y a de cela plus d'un an, je ne peux m'empêcher d'entrevoir constamment des choses qui pourraient m'être utile dans un contexte de composition dans ma vie de tous les jours. J'ai eu le cerveau trop formaté par la préparation aux concours : elle continue de modeler la façon dont je perçois le monde. Il faut que je désapprenne tout cela pour voir à nouveau d'un œil plus large et moins biaisé... Mais là n'est pas la question.

La dernière chose en date à avoir fait tourner la partie "candidate" de mon cerveau, c'est que j'ai rencontré, un peu par hasard, toutes sortes de matériels pédagogiques sur YouTube. J'arrive sûrement un peu tard avec cette information dépassée, mais j'ai été estomaquée par la richesse et la qualité de ce qui a pu être mis en ligne, à la disposition de tous. Mais voici néanmoins quelques liens, pour ceux  d'entre vous qui, comme moi, aiment bien faire pédaler leurs petites cellules grises en découvrant des choses nouvelles... Et qui n'ont pas peur de l'anglais.

Tout a commencé avec ce cours d'histoire générale très ludique et pensé spécifiquement à l'attention d'un public plutôt jeune et "geek". Les deux frères à l'origine de la plateforme CrashCourse proposent aussi des leçons de littérature anglophone, de biologie et d'écologie. Il existe de nombreuses autres chaînes pour ce type de public, principalement s'intéressant aux sciences, et généralement sans véritable curriculum, proposant des sujets d'actualité ou au fur et à mesure de l'inspiration de leurs auteurs.
Mais, personnellement, la science, je connais déjà pas mal. Ce dont j'avais envie, c'était de combler un peu mes connaissances quasi-nulles en matière de littérature et de sciences humaines. En essayant de pousser un peu plus loin les sujets que j'avais découverts en suivant le CrashCourse de littérature, je suis tombée sur ce cours de littérature américaine donné à Yale il y a quelques années. Et c'est là que je mis au jour ce trésor que sont les cours filmés des universités américaines. Que de choses qui s'offrent à nous ! J'ai mis dans mon petit panier ce cours de psychologie du MIT, spécialement pensé pour les autodidactes, un podcast sur la science-fiction et la politique, un cours sur les institutions juridictionnelles par l'UNJF, une introduction à la bioéthique par Oxford, ou encore une histoire de la philosophie... censément sans ellipses.

Pour faire votre marché parmi toutes ces ressources éducatives, il y existe un très bon annuaire où les cours de différentes sources sont triés par sujet. On peut aussi mentionner les sites français Canal-U et Universités Numériques, mais dont les contenus sont plus parcellaires et anecdotiques, ou les conférences filmées de la Cité des Sciences.
Je suis bien convaincue que toutes ces ressources seraient tout à fait adaptées pour préparer un concours... Mais elles ne le sont pas moins pour ceux qui se contentent de se réjouir d'en apprendre un peu plus chaque jour sur le monde qui nous entoure. Si vous avez des suggestions d'autres sources de Savoir en vidéo (ou autre) au travers des méandres du Web, je serais très heureuse de les explorer ! Sans oublier bien sûr d'exploiter les ressources, non moins nombreuses et utiles, de nos réseaux de bibliothèques...


Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même au Sherlock Holmes Museum de Londres en novembre 2012.
Ce texte et cette photo sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage à l'Identique 2.0 Générique.